Pour notre deuxième interview, nous avons donné la parole à Edouard JAECK, notre expert référent « Placement financier ».
En off, notre toulousain était jaloux de la question trop facile posée à Thomas (mais chut !). Kevin LOAS a alors passé au crible le parcours professionnel de notre expert afin de le titiller sur l’un de ses domaines de prédilection... Et nous pensons qu’il a bien fait !
Notre expert en quelques mots :
Docteur en Finance
Ancien enseignant-chercheur à l’Université Paris-Dauphine entre 2013 et 2016
Analyste financier au sein du fonds d’investissement « Lutetia Capital », puis du groupe financier EXANE
Kevin LOAS : « Nous serons tous d’accord pour dire que la période actuelle est particulièrement chahutée : conflits géopolitiques, tension sur les matières premières, inflation persistante, resserrement des politiques monétaires, montée des taux d’intérêts, chute de l’immobilier, incertitude sur la croissance attendue, etc. Une telle conjoncture est inédite. Le stress qui en découle et qui se répercute sur les marchés financiers, a la particularité d’impacter uniformément toutes les grandes classes d’actifs (obligations, actions, etc.), induisant une absence de tendance et une volatilité en hausse. De nombreux investisseurs voient ainsi leur portefeuille financier afficher des performances décevantes, depuis maintenant plusieurs mois. Un climat d’anxiété s’installe.
A votre avis, les fonds de performance absolue peuvent-ils être la solution pour ceux qui souhaitent diminuer leur exposition aux risques ? »
Edouard JAECK : « Les fonds de performance absolue sont des supports d’investissement souvent méconnus du grand public. Leur objectif est de réaliser une performance décorrélée de l’évolution des principaux indices financiers. Ils cherchent ainsi un rendement positif malgré les tumultes des marchés. Ils sont accessibles notamment via des contrats d'assurance-vie, des plans d'épargne retraite (PER) ou des comptes-titres ordinaires.
Pour les épargnants qui fuient à tout prix le risque : passez votre chemin. Ce sont des supports d’investissement à capitaux non-garantis et leur recherche de rendement positif n’est qu’un objectif, pas une promesse. Pour cette catégorie d’irréductibles investisseurs, les meilleurs « supports de performance absolue » demeurent les livrets bancaires et les fonds euros.
Pour les investisseurs plus aventureux, qui cherchent un rendement supérieur aux solutions garanties et qui acceptent une part de risque (que celle-ci soit importante ou plus modeste) : les fonds de performance absolue sont pertinents en raison de leur pouvoir de diversification. Cette diversification est permise par :
La diversité des stratégies mises en place par ces fonds (achat / vente à découvert d’actions, arbitrage de fusion-acquisition, arbitrage statistique, etc.) ;
La décorrélation importante vis-à-vis des principaux indices mondiaux, en raison d’une couverture du risque de marché quasi systématique.
C’est alors cette diversification qui permet aux investisseurs de diminuer le risque de leur portefeuille. »
Kevin LOAS : « Alors qu’aucune accalmie n’est attendue ces prochains mois sur les marchés financiers, la bonne stratégie ne serait-elle pas d’arbitrer l’ensemble de son portefeuille sur ces supports, dans l’attente d’un climat plus favorable ? »
Edouard JAECK : « Les marchés financiers étant aussi imprévisibles que la météo bretonne, je vous dirai : Surtout pas ! Il faut toujours garder en tête les maîtres-mots de l’investissement patrimonial : long terme et diversification. Le plus important est donc de construire un portefeuille diversifié qui sera performant sur le long terme.
Ainsi, les fonds de performance absolue ont tout naturellement leur place dans votre portefeuille, mais toujours parmi d’autres classes d’actifs. Cela vaut quels que soient le contexte ou la période.
Pour ce qui est de la part du portefeuille à allouer à ces fonds, il n’existe pas de vérité absolue. Cela dépend à la fois de l’appétence pour le risque de l’investisseur, de son horizon de placement, des stratégies mises en place par les fonds de performance absolue retenus et du niveau de risque associé.
En poussant le raisonnement encore plus loin, il est également important de choisir plusieurs fonds de performance absolue qui adoptent différentes stratégies d’investissement, afin de ne pas se surexposer à un risque en particulier. »
Kevin LOAS : « Pouvez-vous illustrer cette diversité de stratégies au sein de ces fonds ? »
Edouard JAECK : « Intéressons-nous par exemple aux trois fonds suivants :
Eleva Absolute Return Europe
Helium Selection
DNCA Invest Alpha Bonds
Je retiens ces trois fonds car ces derniers sont accessibles via un grand nombre de contrats patrimoniaux d'assurance-vie et leurs performances passées les positionnent parmi les meilleurs élèves de leur classe d’actifs.
Ainsi, si ces trois fonds présentent des niveaux de performance et de risque relativement proches, ils sont en réalité faiblement corrélés entre eux. Autrement dit, ils ne performent pas au même moment et ne sont pas impactés par les mêmes évènements. Cela s’explique par les stratégies d’investissement de ces fonds qui sont très différentes. Le premier fonds (Eleva Absolute Return Europe) à une stratégie de recherche d’opportunités d’achat et de vente à découvert d’actions de sociétés cotées. En revanche, le second fonds (Helium Selection) cherche principalement à bénéficier d’une prime d’achat lors de la réalisation d’une opération de fusion-acquisition. Enfin, le dernier fonds (DNCA Invest Alpha Bonds) met lui uniquement en place des stratégies d’arbitrage sur l’univers des obligations. »
Kevin LOAS : « Dès lors, quelle stratégie concrète recommandez-vous ? Quelle allocation pourriez-vous nous recommander ? »
Edouard JAECK : « Pour une démarche patrimoniale ? Encore et toujours : la diversification et une vision à long terme.
Comme vous l’avez dit, nous sommes dans un climat d’incertitudes. Certains fondamentaux sont battus en brèche. Chaque jour les marchés sont suspendus aux décisions des banques centrales, aux réévaluations incessantes des taux de croissance, aux évolutions de la guerre en Ukraine, etc. Finalement, la seule donnée économique qui passe au second plan est la production de pétrole en Arabie Saoudite. Pourquoi ? Simplement parce que nous sommes plus intéressés par le salaire et le nom de leurs nouvelles recrues pour leur championnat national de football.
Face à ce contexte, mes recommandations seront simples :
Interrogez-vous sur votre véritable appétence pour le risque. Qu’êtes-vous prêt à perdre pour avoir une chance de gagner plus ? En effet, aimer le risque, ça n’est pas aimer les hauts rendements, c’est être capable d’encaisser des pertes avec détachement.
De là, vérifiez l’exposition de votre portefeuille et son adéquation avec votre profil investisseur et vos objectifs.
S’il ressort que vos positions actuelles semblent trop risquées, arbitrez votre portefeuille afin de réaligner les planètes (bien entendu dans des proportions appropriées).
A cet effet, une combinaison des trois solutions suivantes me semble opportune :
Une pondération des supports garantis un peu plus importante que ce qui était recommandée ces dernières années, notamment du fait du retour à des rémunérations un peu plus attractives en l’espèce ;
Le recours à des produits structurés, qui nécessitent une analyse plus poussée que ce que beaucoup de personnes pensent. En quelques mots : à ne jamais souscrire sur le coin de la table de votre conseiller. Tous les produits structurés ne se valent pas et tous ne sont pas adaptés à tous les investisseurs.
Le positionnement sur des fonds de performance absolue, mais en s’appuyant toujours sur une stratégie diversifiée au sein même de cette classe d’actifs.
Dans le contexte actuel, je conseille toutefois à chacun d’opter pour plus de prudence qu’à l’accoutumée.
Néanmoins je me garderai d’en dire plus, car je suis persuadé qu’une allocation de portefeuille patrimoniale nécessite forcément une réflexion rigoureuse et sur-mesure. Oubliez les « allocations modèles » ou les « allocations profilées », une allocation doit toujours être entièrement personnalisée. L’allocation qui vous correspond n’est pas celle de votre voisin, tant bien même que ce dernier coche les mêmes cases sur un questionnaire profil investisseur standardisé. C’est quelque chose de beaucoup plus profond. Lorsqu’un fonds d’investissement est amené à conseiller un investisseur institutionnel représentant plusieurs milliards d’euros, l’allocation recommandée est le fruit de plusieurs dizaines de rendez-vous de briefing. Pourquoi la recette permettant de bien conseiller un particulier serait-elle différente ?
Dès lors, soit vous disposez d’une réelle compétence en la matière, soit faites le choix d’être accompagné par un professionnel à même de vous aiguiller et qui vous accordera le temps nécessaire. »
Comments