Le moins que l’on puisse dire c’est que les derniers chiffres de l’immobilier donnent le tournis ! Des taux d’intérêt qui font +300% en quelques mois (et ça n’est peut-être pas fini !). Un marché qui se crispe avec un nombre de transactions en baisse de 17%. Naturellement, la question qui taraude tout investisseur est « est-ce le bon moment d’acheter ? ».
Sandrine ALLONIER, responsable des études économiques auprès d’acteurs de référence du marché immobilier et du crédit, nous donne ses conseils !
Kevin LOAS : « Au cours des dernières années, le marché immobilier a connu une forte progression des prix, induite par un accroissement du pouvoir d’achat des acquéreurs sur cette même période. Or lorsque nous analysons finement cette dynamique, nous constatons que celle-ci a la particularité de ne pas être le fruit d’une hausse des revenus des acheteurs (hélas pour nous tous !), mais la résultante d’une augmentation de leur capacité de financement.
Effectivement, sans que leurs revenus ne progressent, les acquéreurs ont vu leur budget augmenter en raison :
D’une baisse du coût du crédit ;
Des politiques commerciales accommodantes des établissements bancaires (notamment sur la question de l’apport personnel).
Il faut dire que nous étions dans un climat :
De taux historiquement bas ;
De concurrence entre les établissements bancaires (volonté de gains de parts de marché, essor des courtiers, réforme de l’assurance emprunteur, etc.).
Autant le dire tout de suite, la conjoncture actuelle est toute autre. La montée brutale des taux d’intérêt (c’est à dire du prix de l’argent) a induit :
Une baisse de la marge des établissements prêteurs, pris entre le marteau (le coût de leur propre refinancement sur les marchés) et l’enclume (le taux d’usure : c’est-à-dire le taux d'intérêt maximal qu’ils peuvent appliquer lors de la délivrance d'un prêt), dont la conséquence a été un durcissement de leurs conditions d’octroi :
Demande d’apport personnel plus important ;
Financement accordé à une typologie d’investisseur plus restreinte (recentrage sur la clientèle actuelle et non sur les prospects, priorité donnée à l’acquisition de la résidence principale, priorité donnée aux profils les plus attractifs, etc.).
Une capacité d’emprunt en chute libre : notons que si au premier trimestre 2022, une mensualité de 1.500 € sur 25 ans permettait d’emprunter environ 350.000 €, cette même mensualité ne permet plus aujourd’hui que d’emprunter un capital de 265.000 €.
Dès lors, si les vendeurs peinent encore à prendre en compte ces paramètres, il est toutefois certain que le durcissement des conditions de financement des acquéreurs aura, à terme, une répercussion baissière sur les prix de vente des biens immobiliers. En l’espèce deux doctrines s’affrontent :
Attendre que les prix baissent ;
Se presser d’acheter avant que le niveau des taux d’intérêt ne devienne rédhibitoire.
Que conseillez-vous à ceux qui mûrissent actuellement leur projet d’acquisition immobilière : patienter ou se précipiter ? »
Sandrine ALLONIER : « Je choisis la troisième voie, car à mon sens la vraie question est ailleurs ! Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer les investissements locatifs de l’acquisition d’une résidence principale :
S'agissant des investissements locatifs :
Par nature il s’agit d’une acquisition d’opportunité : La vraie et unique question à se poser est donc « est-ce une affaire à ne pas louper ? ». Cette question était essentielle hier, elle l’est aujourd’hui et elle le sera demain. Pour y répondre, le « prix » n’est pas la seule variable. Sont également à considérer : le potentiel locatif, le montant des revenus perçus, le montant des charges prévisibles, l’attractivité du secteur, etc.
Le prix de l’immobilier locatif n’est pas uniquement impacté par les taux d’intérêt, mais dépend également du montant des loyers perçus (qui ont tendance à augmenter plus qu’ils ne baissent, notamment du fait d’un déficit de l’offre du parc locatif).
Un point de vigilance : Il ne faut pas oublier d’intégrer dans son projet : la loi climat, la prise en compte par les établissements bancaires des effets de cette loi climat, la plus grande réticence des établissements bancaires à financer les projets locatifs, etc.
S'agissant de l'acquisition d'une résidence principale :
Deux besoins guident l’acquisition d’une résidence principale :
Celui de se constituer un patrimoine : La charge de mon logement m’enrichit moi et non mon bailleur. Or repousser l’acquisition de sa résidence principale, c’est repousser d’autant le développement de son patrimoine.
Celui de se sentir bien chez soi : L’acquisition d’une résidence principale n’est souvent pas un achat financièrement de raison, mais au fond : Quel est le juste prix d’un coup de cœur ? Faut-il prendre le risque de passer à côté du lieu où l’on imagine sa famille s’épanouir ? Aujourd’hui ou demain, le coup de cœur est de toute façon généralement « plus cher » !
Ensuite, rappelons plusieurs éléments techniques :
L’acquisition d’un bien immobilier (qu’il s’agisse d’un locatif ou d’une résidence principale) est un investissement sur le long terme. Or si nous ne pouvons pas prédire l’ampleur de la correction du marché immobilier, celle-ci semble transitoire car étant fortement contextuelle. Ainsi si vous achetez aujourd’hui un bien, il semble peu probable que vous le revendiez dans 8/10 ans pour un montant moindre.
Pour les adeptes des tableurs Excel :
Pierre achète aujourd’hui un appartement de 250.000 € (apport personnel limité aux divers frais). Sa mensualité de crédit sur 25 ans est de l’ordre de 1.350 €
Un an plus tard, Simon achète un appartement similaire au prix de 230.000 €. Entre-temps, les taux d’intérêt ont augmenté de 1%. Sur la base d’un même montant d’apport personnel, la mensualité de crédit de Simon sur 25 ans sera également de l’ordre de 1.350 €.
Neuf ans plus tard, le capital restant dû de nos deux amis est identique : environ 178.000 €. En cas de revente, qui fait la meilleure affaire ? Celui qui a la meilleure exposition, car il revendra son bien plus cher ! A défaut Pierre, car cela fera un an de plus qu’il a son chez lui ! En effet, si les deux revendent leur bien 230.000 €, ils récupéreront chacun la même somme : soit 52.000 €. La moins-value immobilière de Pierre est ici compensée par le coût global intéressant de son crédit.
Donc patienter ou se précipiter ? Je recommanderais plutôt de savoir saisir les opportunités ! En période de tensions et d’incertitudes, les fondamentaux demeurent la voie du bon chemin ! »
Kevin LOAS : « Pour le bon fonctionnement du marché immobilier, il faut des acquéreurs qui achètent et des vendeurs qui vendent, mais il faut également des établissements bancaires qui acceptent de prêter.
Que conseillez-vous à ces derniers afin qu’ils retrouvent un intérêt dans la production de crédits ? »
Sandrine ALLONIER : « Les établissements bancaires ne doivent pas perdre de vue leur propre intérêt. Or le crédit immobilier demeure :
Un produit d’appel pour conquérir de nouveaux prospects ;
Le moyen de retenir captive sa propre clientèle.
S’éloigner du prêt immobilier, c’est prendre le risque pour les banques de se couper de leur source de revenus. Surtout dans un contexte où certains établissements restent dans une dynamique de conquête de parts du marché.
Je suis certaine que par le levier de l’emprunt, les banques peuvent retrouver de la rentabilité. Un acquéreur satisfait, c’est un client comblé et naturellement ouvert à un conseil plus global (assurance, épargne, placements, etc.). Toutefois, les établissements bancaires doivent encore apprendre à saisir cette opportunité.
Dans cette recherche de rentabilité, les courtiers peuvent d’ailleurs être un allier de poids :
Du fait de leur travail préalable d’analyse des demandes de crédits, facilitant grandement le rôle du banquier.
Du fait de leur capacité à pouvoir mettre en avant le potentiel global du client. Toutefois, cela nécessiterait une coopération encore plus grande entre ces deux acteurs. Les courtiers ne sont pas là juste pour « vendre » des conditions de financement, ils savent aussi promouvoir un accompagnement de qualité. »
Kevin LOAS : « Les établissements bancaires sont des entreprises privées, ayant toutefois une activité de service public notamment à travers leurs fonctions de création de monnaie (via le prêt) et de lutte contre l’exclusion sociale (droit aux comptes, interdiction de ne contracter qu’avec des clients riches, etc.).
Dès lors, si vous étiez en face des pouvoirs publics, que leur recommanderiez-vous ? »
Sandrine ALLONIER : « Les mesures concrètes annoncées par le gouvernement et issues des conclusions du CNR logement sont grandement décevantes. L’État dispose pourtant des moyens de dégripper un marché immobilier qui se tend :
En offrant plus de lisibilité aux établissements bancaires quant aux dérogations aux normes du HCSF :
Le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) précise les conditions d’octroi de crédits (essentiellement s’agissant du taux d’effort et de la maturité maximums), qui s’imposent aux établissements financiers. Les banques peuvent alors y déroger dans la limite de 20 % de leur production de nouveaux crédits. Dans les faits, la part de dossiers y dérogeant est bien en dessous de ces 20 %.
En étant moins évasif sur les conditions de ces dérogations, l’État permettrait aux établissements bancaires d’user avec plus déficience de la marge dont ils disposent. De nombreuses pistes existent pourtant :
Le retour au calcul du taux d’endettement des projets locatifs au moyen de la méthode dites différentielle ;
Une meilleure prise en compte du reste à vivre ;
Etc..
En optant pour une politique du logement ambitieuse et en adéquation avec les besoins réelles :
Le parc immobilier ancien a besoin d’une politique forte et incitative en matière de rénovation énergétique (et non pas uniquement punitive).
Le parc immobilier neuf (individuel ou collectif) a besoin des particuliers acquéreurs pour être en mesure de fournir un nombre suffisant de logements.
Enfin, le parc locatif, quel qu’il soit, doit continuer à être attractif.
Pour soutenir ces trois axes, l’État dispose de compétences qui lui sont propres : la fiscalité et le droit. »
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